Le DG de la BVMAC Jean Claude Ngbwa envisage de faire passer le ratio de capitalisation de la BVMAC de 0,15% à 10% en 5 ans.
Le directeur général de la Bourse de valeurs mobilières d’Afrique centrale unifiée (BVMAC) a pris part à l’atelier organisé à Libreville par la Commission de surveillance du marché financier de l’Afrique centrale (COSUMAF) à l’intention des acteurs du marché financier sous régional. Dans cet entretien accordé à Le Nouveau Gabon, Jean Claude Ngbwa (photo) présente les enjeux de cette fusion.
Le Nouveau Gabon : Monsieur le directeur général, à votre avis, qu’est-ce qui freine jusqu’ici l’essor des marchés financiers en zone Cemac ?
Jean Claude Ngbwa : Les obstacles au développement des marchés financiers de la Cemac sont de plusieurs ordres. On pourra en premier lieu citer le manque d’intégration du marché avec pour corollaire la présence de deux régulateurs, deux marchés centraux, deux banques de règlement et enfin trois dépositaires centraux. À cela s’ajoutaient la complexité et le manque de clarté de l’écosystème ; la présence de la double tarification des commissions et de deux fiscalités.
Autre écueil, le marché financier a été créé alors que les économies des pays de la Cemac étaient en restructuration. Les conditions pour une confiance indispensable au fonctionnement normal d’un marché financier n’étaient pas réunies avant l’atteinte de leur point d’achèvement de l’initiative PPTE. Dans ce cadre, les opérations de privatisation qui ont suivi ont été réalisées avant la création et le fonctionnement du marché financier.
Ainsi, plusieurs cessions totales ou partielles des participations, détenues par les États dans les entreprises publiques, parapubliques et d’économie mixte, ont été faites par placement privé. En outre, la majorité des entreprises de la sous-région Cemac sont des sociétés fermées qui doivent au préalable être transformées en sociétés ouvertes intégrant les conditions d’admission à la cote. Il y avait aussi l’absence de transparence et de diffusion des informations économiques et financières régulières, sincères et fiables.
Les faiblesses du marché financier sous régional constituent aussi des écueils au développement de ce secteur. Le ratio de capitalisation boursière en pourcentage du PIB reste en deçà des potentialités de la zone Cemac. Elle est la plus faible de tout le continent (0,15%) alors que dans la zone Uemoa elle est de 2,46%.
À ces facteurs, s’ajoutent également une absence de diversification de l’économie ainsi qu’une faible liquidité des titres cotés. Tenez, par exemple, en mai 2019, la BRVM comptait 46 sociétés côtés en bourse tandis que la BVMAC n’en comptait que quatre.
LNG : Quels sont les enjeux de la fusion des deux bourses ?
JCN : La bourse régionale unifiée vise cinq objectifs. Elle doit permettre d’accélérer la croissance économique des pays de la sous-région Cemac par la structuration d’une offre adaptée au besoin des entreprises et des investisseurs ; d’accroitre l’épargne domestique pour augmenter la quantité et la qualité des investissements ; de renforcer la crédibilité du marché financier sur le plan régional et international ; de réduire les coûts de marchés (tarification et fiscalité unique) ; et ceux d’acquisition d’information permettant de faciliter l’identification des opportunités d’investissement et d’améliorer l’allocation des ressources.
LNG : L’engagement des chefs d’État au développement du marché financier sous régional est-il réellement palpable ?
JCN : Effectivement, la mise en œuvre des dispositions de l’article 8 de l’Acte additionnel du 19 février 2018 et du règlement UMAC qui l’accompagne sont des actent qui le prouvent à suffisance. En effet, cet article stipule clairement que « En vue de renforcer le rôle du marché financier régional dans le financement des économies de la Cemac, dans un délai de vingt-quatre (24) mois, à compter de la date de signature du présent Acte additionnel, les États membres procèdent à : la cession partielle ou totale en Bourse de leurs participations dans le capital d’entreprises publiques, parapubliques, ou issues de partenariats public-privé, notamment dans le cadre de programmes de privatisation ; l’adoption de cadres législatifs rendant obligatoire la cotation ou l’ouverture en Bourse du capital d’entreprises ayant pour profession habituelle la gestion ou la conservation de l’épargne publique (Banques, compagnies d’assurances, etc.) ; l’adoption de cadres législatifs rendant obligatoire la cotation ou l’ouverture en Bourse du capital d’entreprises multinationales ou filiales de multinationales exerçant leurs activités sur le territoire des États membres ; l’adoption de mesures incitatives permettant d’assurer le recours des entreprises des secteurs économiques stratégiques aux marchés financiers et enfin leur entrée dans le capital de la BVMAC à hauteur de 30%, soit 5% par État membre. »
LNG : Quels sont les objectifs de la BVMAC à court terme ?
JCN : La BVMAC a un plan d’action pour l’année 2020. Ce plan préconise d’atteindre une capitalisation minimum de 1 200 milliards de FCFA sur le compartiment actions avec l’hypothèse de six sociétés cotées à raison d’une par pays.
Nous envisageons également d’atteindre une capitalisation minimum de 1 000 milliards de FCFA sur le compartiment obligations toujours au cours de cette année 2020 cette fois, avec l’hypothèse de l’émission obligataire de chaque État membre. Les estimations des revenus de la BVMAC en 2020 s’élèvent à 1 856 320 000 de FCFA.
Le plan 2020 vise aussi la consolidation de l’intégration des deux marchés pour atteindre l’optimisation de la performance de BVMAC ; la mise en œuvre des dispositions de l’article 8 de l’Acte additionnel et la densification des interventions de la BVMAC sur l’ensemble de sociétés ciblées. Nous envisageons d’atteindre un ratio de la capitalisation boursière de 10% dans 5 ans.
LNG : Quelle est la vision stratégique de la BVMAC ?
JCN : La vision stratégique de la BVMAC s’appuie sur trois piliers : un cadre légal, réglementaire et institutionnel moderne ; une infrastructure technique répondant aux standards internationaux et enfin une intermédiation efficace.
LNG : Quelles réformes préconisez-vous ?
JCN : Les principales réformes à accomplir concernent la mise en place d’un cadre légal et réglementaire moderne pour la mise en application du Règlement Umac en référence l’article 8 de l’Acte additionnel ; la mise en œuvre des résolutions du conseil d’administration de la BVMAC en termes de profondeur de marché ; et la révision du règlement général de la BVMAC et des règles de fonctionnement du marché.
Il y a également le développement de la sécurité financière par un règlement Cemac en vue de renforcer la transparence financière ; de favoriser l’indépendance des auditeurs ; de définir les responsabilités des entreprises et de leurs dirigeants ; d’adopter les règles visant à prévenir les conflits d’intérêts des analystes financiers ; de définir le rôle des agences de notation ; d’encourager l’accès des émetteurs et investisseurs au marché par un cadre fiscal incitatif en termes de réduction d’Impôt sur les bénéfices des sociétés cotées ; d’impôt sur le revenu des capitaux mobiliers (dividendes, intérêts) ; d’exonérations…
LNG : Les bailleurs de fonds participeront-ils au développement du marché financier sous régional ?
JCN : La Banque africaine de développement (Bad) a annoncé un programme d’accompagnement financier qui portera sur un certain nombre d’éléments. Il s’agit de la consolidation de l’intégration des deux marchés pour l’atteinte de l’optimisation de la performance de BVMAC ; du recrutement d’un cabinet pour l’élaboration du business plan de la BVMAC, du recrutement d’un cabinet pour l’identification et l’évaluation des sociétés susceptibles d’être introduites en bourse dans le cadre de l’Acte additionnel du 19 février 2018 portant unification du marché.
Cet accompagnement prévoit également le recrutement d’un consultant pour l’assistance à la mise à niveau de la plateforme de cotation et autres systèmes, la formation du personnel de la Bourse et des acteurs du marché, l’accompagnement pour la mise en place de l’école de la Bourse, la prise en charge d’une partie des commissions d’introduction en bourse et des commissions de capitalisation pour les premières sociétés à se faire coter.
Interview réalisée par Stéphane Billé
Source: Le Nouveau Gabon
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