La Bourse des valeurs, une alternative attrayante pour le financement des PME & startups
Développer sa stratégie de croissance externe, accroître ses parts de marché, augmenter sa notoriété. Tout cela peut amener une société à s’introduire en bourse ou émettre un emprunt obligataire. Mais il serait risqué d’avoir recours à l’improvisation.
Afin d’aider les entreprises à réussir leur entrée en bourse sur le marché de la BVMAC en Afrique centrale, plusieurs personnalités, dont Cyrille Feudjio (Head of Deals Advisory, PwC), Geoffroy Kamga (PwC Afrique francophone subsaharienne), Leandre Bouanza Mombo (Directeur Général, CEO de BGFI Bourse), Jean-Claude Ngbwa (Directeur Général de la BVMAC), Marc Kamgaing (Fondateur de Harvest Asset Management), Jules Samain, (Directeur général pour l’Afrique, GuarantCo) et Georges James Ndzutue Fotso (Directeur général chez ALIOS FINANCE Group), ont décrypté le sujet lors du webinaire intitulé » Les différentes étapes du processus d’introduction en bourse « , organisé le 24 Février dernier par le bureau d’Afrique subsaharienne du cabinet de conseil et d’audit PWC, modéré par Geoffroy Kamga.
Le webzine CEO Afrique qui a visionné cette e-conférence, s’est intéressé aux aspects stratégiques que les sociétés doivent prendre en considération lors du processus d’introduction en bourse.
« Notre marché financier offre des financements longs et est suffisamment liquide [ … ]. La collecte de l’épargne s’y fait auprès du grand public ».
C’est par ces quelques mots que Jean-Claude Ngbwa, Directeur Général de la BVMAC (Bourse des Valeurs Mobilières de l’Afrique Centrale) a exhorté les investisseurs à placer leur argent sur ce marché financier situé à Douala, capitale économique du Cameroun, opérationnel depuis Juillet 2019, la résultante d’une fusion entre la « Douala Stock Exchange » (DSX) et l’ancienne Bourse des valeurs Mobilières de l’Afrique Centrale créée à Libreville, au Gabon. Ce rapprochement était supposé donner un nouvel élan à cette Bourse des valeurs unifiée de la CEMAC [Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale, composée du Cameroun, de la Centrafrique, du Congo, du Gabon, de la Guinée équatoriale et le Tchad, NDLR]. Mais force de constater que le marché des introductions en Bourse est resté au point mort dans la sous-région. En effet, La BVMAC ne compte que quatre valeurs sur le marché actions — Société des Eaux Minérales du Cameroun (SEMC), SAFACAM (Société Africaine Forestière et Agricole du Cameroun), SOCAPALM (Société Camerounaise de Palmeraies) et SIAT GABON (Société d’Investissement pour l’Agriculture Tropicale) — et les volumes d’échanges sur ces titres y sont très modestes. Sans oublier le fait que la capitalisation du marché « actions » s’établit à 30 684 725 300 Francs CFA (46 657 445 euros) et celle des obligations totalise 554 004 630 880 FCFA (842 387 876 euros).
À titre de comparaison, à la Bourse Régionale des Valeurs Mobilières (BRVM), le marché « actions » représente une capitalisation boursière de 3931 milliards de Francs CFA (5,98 milliards d’euros). Le marché obligataire, quant à lui, possède une capitalisation de 5718 milliards de francs CFA (8,69 milliards de dollars).
Un résultat décevant, pour la BVMAC, qui s’explique par une méconnaissance de ce mode de financement, la culture boursière n’étant pas encore suffisamment ancrée dans les mœurs des PME locales en quête de liquidités. Cependant, face aux problèmes systémiques de financement auxquels sont confrontées les entreprises, notamment auprès des établissements bancaires, certaines d’entre elles pourraient envisager sérieusement une entrée sur ce marché financier. Une introduction en bourse, désignée également sous son acronyme anglais IPO [Initial Public Offering : Offre Publique Initiale, NDLR] est un processus au cours duquel une entreprise — Grande Entreprise (GE), Entreprise de Taille Intermédiaire (ETI), PME, start-up etc … — ouvre son capital en vendant des actions existantes ou nouvelles sur le marché boursier.
Des avantages indéniables par rapport aux options plus classiques
La bourse est un levier de financement idéal pour les sociétés qui souhaitent conduire une stratégie d’ensemble ambitieuse, procéder à des opérations de croissance externe, leur permettant d’acquérir ou de consolider une position de leader dans leur secteur respectif et être mieux armées pour relever les défis auxquels elles sont confrontées.
Elle donne l’occasion à une entreprise cotée de bénéficier d’un accès illimité aux liquidités nécessaires pour financer sa croissance, à la condition que le cours des actions suive une tendance haussière. La vente des titres aux investisseurs a donc le mérite d’abaisser drastiquement la dette des sociétés, alors qu’un emprunt classique peut être amené à alourdir leur modèle économique.
En outre, ce marché financier offre aux entreprises une plus grande visibilité, à l’échelle africaine, voire sur la scène internationale, avec une mise en relief constante de leur champ d’expertise et de leur savoir-faire, véritable gage de légitimité, de crédibilité, de sérieux et de pérennité pour leur expansion, culminant en une puissante apothéose.
De leur côté, les actionnaires peuvent y voir une meilleure valorisation de leur investissement, d’autant plus que la réglementation stricte relative aux sociétés cotées leur confère une protection juridique beaucoup plus élevée que la législation qui s’applique aux entreprises non cotées.
Des exigences draconiennes
Le choix d’une introduction en bourse requiert des changements structurels et organisationnels profonds, avec des systèmes de contrôle internes sophistiqués et bien rodées, ainsi qu’un arbitrage en faveur d’équipes managériales très aguerries, dotées de curriculum vitae bien garnis.
« [ … ] Les sociétés candidates doivent justifier de leur capacité à offrir une gouvernance de qualité, un bon système d’information, un dispositif de contrôle interne impeccable, un niveau de maturité élevé en matière digital … Ce sont des éléments scrutés à la loupe par les investisseurs, qui peuvent favoriser ou faciliter la levée de fonds des entreprises via la bourse » prévient Cyrille Feudjio.
Une analyse partagée par Marc Kamgaing, fondateur de Harvest Asset Management, qui apporte un complément d’information et des éclaircissements :
« Un des éléments importants pris en compte par la bourse, c’est la transparence, le fait de communiquer ses résultats en toute clarté et honnêteté [ … ]. Les critères d’évaluation majeures qui sont le plus souvent retenus sont l’Equity Story, c’est-à-dire l’historique de la société, la qualité du management, la structure de l’actionnariat et l’analyse financière [ … ] » .
Les sociétés cotées en Bourse sont soumises à des prescriptions légales en matière de transparence, avec l’obligation d’aborder tous les différents aspects de l’activité de ces entreprises dans les communiqués de presse et publier à un rythme régulier leurs résultats financiers.
D’autre part, le fait d’ouvrir une part du capital de son entreprise aux divers investisseurs sur le marché de la BVMAC implique de se plier aux règles et aux exigences des analystes financiers, essentiels au bon fonctionnement de cette place financière, dont le rôle est de déterminer la valeur des entreprises et les bénéfices futurs. Un simple avis positif (acheter, accumuler des actions …) ou négatif (alléger, vendre des actions …) de leur part peut faire grimper ou, à contrario, plonger le cours des titres de façon vertigineuse ! D’où la nécessité pour les fondateurs & CEO d’appliquer une discipline de gestion rigoureuse afin d’accroître leurs chances de réussite et s’attirer les bonnes grâces de ces analystes financiers.
Enfin, le processus d’introduction en bourse mobilise des ressources financières importantes versées en grande partie aux intermédiaires et autres prestataires, parmi lesquels on peut compter des agences de marketing, des experts-comptables & commissaires aux comptes, des avocats d’affaires, des conseillers financiers et bien entendu la COSUMAF auprès duquel on paie une redevance.
« L’introduction en bourse est une opération pluridisciplinaire. La société intermédiaire doit coordonner, pour le compte de l’émetteur, les interventions d’un certain nombre d’acteurs : des conseillers financiers, des cabinets de conseil, des conseillers juridiques, des conseillers en communication, des agences de notation et parfois des experts sectoriels » justifie Leandre Bouanza Mombo Directeur Général de BGFI Bourse.
Cela exige aussi du temps et des efforts considérables pour coordonner les actions de toutes les parties prenantes, dont celles des fondateurs & l’équipe de direction de l’entreprise.« Ce sont des opérations qui prennent trois à six mois de préparation, incluant les conseils prodigués, la phase d’émission des titres et la phase « post-émission » ; l’émetteur sollicitera en permanence un accompagnement émanant de la société de bourse » poursuit Leandre Bouanza Mombo.
Les étapes clés pour faire introduire sa société en bourse
On dit qu’une société est cotée en bourse lorsqu’elle se positionne sur un marché financier, en l’occurrence celui de la BVMAC, pour vendre ses titres.
Dans un premier temps, les fondateurs et dirigeants de l’entreprise sont tenus de choisir un intermédiaire financier, agréé par la COSUMAF (Commission de Surveillance du Marché Financier de l’Afrique Centrale), qui va gérer les souscriptions et servira de guide tout le long du processus d’introduction en bourse.
Pour obtenir l’agrément en qualité de Société de Bourse, la personne morale concernée devrait prendre attache avec la COSUMAF afin de remplir les conditions présentées dans l’Instruction n°2005-3 relative à l’agrément des Sociétés de Bourse intervenant sur le Marché Financier.
« Notre cabinet PWC intervient dans ce type d’opération, en qualité de conseil stratégique. Il accompagne les entreprises en amont, en examinant avec eux les modes de financement les mieux adaptés à leur situation, mais également en identifiant les prérequis permettant de réussir leur levée de fonds via la bourse » soutient Cyrille Feudjio, responsable « Deals Advisory » chez PwC en Afrique subsaharienne.
Pour sa part, Leandre Bouanza Mombo apporte son éclairage, abondant dans ce sens :
« [ … ] Un syndicat de placement est composé de sociétés de bourse ou d’autres agents placeurs tels que les banques et toute autre entité disposant de la technicité suffisante pour assurer la promotion des titres mis en vente au public [ … ]. Le règlement du COSUMAF lui reconnaît le rôle primordial et l’exclusivité de l’organisation des opérations de placement ».
L’intermédiaire financier étudie notamment les potentialités concernant le volume des titres échangés à la BVMAC, susceptibles de susciter l’intérêt des investisseurs boursiers, et assiste l’équipe de direction & gestion dans la rédaction des documents juridiques et administratifs exigés. In fine, ils déterminent conjointement la part du capital émis en bourse. Lorsqu’une société souhaite effectuer le placement de ses titres (actions, obligations ….) sur un marché réglementé tel que la BVMAC — par le biais d’un intermédiaire en bourse agréé — , ceci signifie qu’elle effectue « un appel public à l’épargne » ou une « offre au public de titres financiers ».
Cette entreprise a ensuite l’obligation de déposer auprès de la COSUMAF un prospectus d’introduction en bourse, un document confidentiel qui contient des informations importantes, parmi lesquelles les modalités de l’opération, les caractéristiques de la société émettrice, les comptes financiers, les lignes directrices de la gouvernance d’entreprise et les facteurs de risque. Ces renseignements sont destinés à être diffusés auprès des investisseurs.
À travers le due diligence, on anticipe les difficultés qui peuvent entraver la réussite d’une introduction en bourse ou déterminer les facteurs qui facilitent le bouclage de l’opération.
Tout au long de l’intervention, il y a bien sûr de la phase cruciale du due diligence, un moment tant redouté, mais tant attendu. Il s’agit, pour l’intermédiaire financier, d’imposer aux fondateurs un certain nombre de vérifications approfondies, destinées à en déterminer la situation aussi exacte que possible de l’entreprise, bien avant que les investisseurs potentiels se manifestent lors des premières transactions boursières. Cela se traduit précisément par une due diligence commerciale ( position concurrentielle, analyse de la clientèle, évaluation de l’offre de produits ou services, adéquation produit/marché, stratégie d’approvisionnements auprès des fournisseurs, performance commerciale etc…. ), une due diligence comptable et financière (principes & règles comptables qui régissent la présentation des états financiers, analyse des bilans et des comptes de résultats, flux de trésorerie, hypothèses et projections sur les trois ou cinq prochaines années …) une due diligence juridique ( partenariats ou contrats établis avec des fournisseurs & clients, appréhension des risques de litiges ou analyse des litiges en cours …), une due diligence technologique (compétences technologiques de l’entreprise, potentialités des processus d’innovation, transition numérique, brevets & propriété intellectuelle …. ) etc…
« À travers le due diligence, on identifie les risques potentiels susceptibles d’impacter les performances de la société. On anticipe également les difficultés qui peuvent entraver la réussite d’une introduction ou déterminer les facteurs qui facilitent le bouclage de l’opération » explique Cyrille Feudjio
La COSUMAF se charge aussi de mener des vérifications minutieuses des antécédents et de l’état actuel de l’entreprise afin d’attester de la conformité des informations renseignées dans le prospectus d’introduction en bourse avec la réglementation de ce marché financier d’Afrique centrale et les exigences de protection des investisseurs. La future société cotée et l’avis de marché de la BVMAC sont tenus, une fois l’homologation obtenue à travers un « visa », de transmettre à tous les acteurs de ce marché l’agenda et les modalités de l’opération.
Dans les semaines précédant l’introduction en bourse, les dirigeants de la société et les intermédiaires financiers mandatés organisent plusieurs rencontres avec des analystes, des gestionnaires de portefeuille d’actions et des investisseurs qui se chargeront de poser un maximum de questions. Cet exercice a pour objectif de mesurer l’engouement (ou non) de ces investisseurs boursiers autour de la future société cotée. Ces « roadshows » peuvent être considérés comme des entretiens d’embauche extrêmement ardus, menés par des financiers en quête de garanties solides. Il est donc vivement recommandé d’avoir en son sein un CFO [Chief Financial Officer : Directeur financier, NDLR] qui mettra sur pied une organisation permettant d’écourter les délais de publication, booster les fréquences de reporting, renforcer la traçabilité et l’auditabilité des données financières, tout en sachant répondre aux préoccupations et aux attentes des souscripteurs potentiels.
L’émission obligataire, un mécanisme de financement méconnu dans la sous-région
Les obligations représentent des titres financiers négociables émis sur le marché boursier par une société ou un État et conférant au souscripteur un droit de créance sur l’émetteur de ces titres. Autrement dit, chacun des investisseurs prête une partie du capital et devient un « obligataire ». L’émission obligataire permet ainsi à l’entité émettrice de s’endetter à une échéance beaucoup plus longue que celle octroyée par un crédit bancaire.
Si ces produits financiers procurent indéniablement aux investisseurs une sécurité et une stabilité, il convient toutefois de noter que le remboursement des obligations comporte un risque important, à partir du moment où il est tributaire de la capacité de l’émetteur à respecter ses engagements, dont la défaillance peut faire perdre aux investisseurs la totalité de leur capital investi. D’où l’existence de fonds de garantie pour pallier ce type de risque.
« GarantCo est une institution financière de garantie, co-gérée par la Suisse, la Suède, les Pays-Bas, l’Australie et le Royaume-Uni, qui met à la disposition des pays à faible revenu un certain nombre de financements dans le domaine des infrastructures. Son rôle est de mobiliser les financements du secteur privé en monnaie local, en l’occurrence en Franc CFA. L’idée est de donner 50% de couverture, de manière à ce que les investisseurs et GarantCo mutualisent le risque. Concrètement si l’émetteur n’est pas en mesure de rembourser les obligations, GarantCo s’acquittera du paiement partiellement ou en totalité, rapporte son Directeur Général pour l’Afrique, Jules Samain. GuarantCo a déjà fourni une garantie pour rehausser le crédit d’une obligation de société émise dans le cadre de financements d’infrastructures logistiques par GSEZ (Gabon Special Economic Zone) et a permis une couverture des coûts découlant de l’émission de l’emprunt obligataire par la société Acorn, destinée à financer la construction de logements pour étudiants au Kenya ».
L’une des plus grosses opérations sur le marché obligataire de la BVMAC a été réalisée par le groupe Alios Finance, spécialisé entre autres dans le crédit-bail mobilier & immobilier, le crédit d’investissement et le crédit à la consommation.
« Les entrepreneurs ont généralement besoin d’investir à long terme, sur une période comprise entre 5 et 7 ans. En ce qui nous concerne, il était vital, pour ALIOS de se financer en bourse pour atteindre nos objectifs » justifie Georges James Ndzutue Fotso, Directeur Général chez Alios Finance Group.
En 2018, la société de leasing avait donc émis 8 milliards d’obligations de Francs CFA sur le marché de l’ancienne Douala Stock Exchange (DSX), à cinq ans, une durée moyenne pour ce type d’opération, avec un coupon fixé à 5,75% par an. Une demande qui lui a permis d’atteindre cette somme.